mercredi 6 octobre 2010

Le grand écart

( Article dans son intégralité, ou peu est à rajouter.)

Une rencontre assez improbable entre Jonas Mekas et Martin Scorcese était programmée à Pantin, dans le cadre de cette rétrospective. La visite bien réelle du premier au second, alors en plein tournage du film Les Infiltrés, s’est déroulée à Boston, alors que Notes on an American Film Director at Work : Martin Scorcese était programmé dans le cadre de la rétrospective « New york vs New York. » Voici pour la toponymie.

Une belle étrangeté se dégage de ce film de Jonas Mekas, une rencontre entre deux esthétiques et deux personnages qui n’occupent pas, c’est le moins que l’on puisse dire, la même place dans le champ cinématographique. Si l’œuvre de Scorcese est peut-être et même sans doute une sorte de journal intime, on ne peut pas dire qu’elle partage grand chose avec celle de Jonas Mekas : images « artisanales », marginales et fragiles pour l’un, cinéma certes indépendant pour l’autre, mais riche, spectaculaire et puissant. Mais c’est tout l’intérêt de Notes on an American Film Director, l’instauration d’un dialogue entre deux régimes d’images qui ne sont pas faits pour se rencontrer. Pour beaucoup, il s’agit d’images d’images ; ces scènes et ces personnages, dont la star Léonardo Di Caprio, de Scorcese contenues dans un film de Jonas Mekas, on peut dire que ça ne manque pas de sel. Puis surtout, cette manière qu’à la caméra du second d’être aimanté par le combo par lequel Martin scrute avidement, exalté comme un gosse par un nouveau jouet, sa belle machinerie bien huilée.

Mais Notes on an American Film Director n’est pas composé que d’images d’images. D’abord parce que le réalisateur d’origine lituanienne fabrique d’autres images, les siennes, à partir des images d’un autre, notamment en y intégrant la mélancolie et la gravité d’un Concerto pour violon de Bach. Mais ce n’est pas l’essentiel. Pris dans la folle dynamique centrifuge du cinéma de Scorcese, la caméra rejoint parfois le centripète. En effet, elle s’attarde parfois sur la périphérie des choses, sur ce qui ne sera pas contenu dans Les Infiltrés, ni dans aucun film du réalisateur de Taxi Driver. L’appareil quitte alors la lumière artificielle des réflecteurs pour aller à la rencontre d’une autre, naturelle celle-ci, il se promène à la surface des vitres brisées et fatiguées d’un hangar désaffecté, le long de fils électriques. Ici, Jonas Mekas rejoint son cinéma, compose son film ; celui d’un infiltré en territoire certes non hostile, mais étranger.

Arnaud Hée et Camille Pollas.



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